Qu’elle soit professionnelle ou de loisir, la plongée subaquatique est régie par des contraintes physiques et réglementaires qui se veulent proches, ou très proches partout dans le monde. Comme beaucoup d’activités, le développement informatique, l’apogée de la miniaturisation, les progrès effectués sur les écrans et sur l’affichage, sur les évolutions de l’interface homme/machine,etc. ont largement impacté la pratique courante de la plongée. C’est le cas notamment de la sécurité dans la pratique d’activités subaquatiques, puisque l’arrivée sur le marché des ordinateurs de plongée dans les années 1980/1990 et leur constante évolution permettent aujourd’hui d’aborder différemment les choses.
Les origines des ordinateurs de plongée et un peu de thermodynamique…
On sait tous qu’un plongeur loisir plonge avant tout pour décompresser de sa vie Ô combien si stressante, mais le terme de décompression prend aussi tout son sens lorsqu’il désire remonter à la surface, à la fin de sa plongée. En effet, le plongeur, pour respirer sous l’eau, embarque une bouteille dans laquelle est comprimé de l’air à haute pression (environ 200 bars, soit 20 fois la pression de votre station de gonflage pour gonfler vos pneus de voiture). Afin d’être en mesure de respirer cet air sans se déchirer les poumons, le plongeur va adapter des détendeurs qui vont permettre de réduire la pression en sortie, et de transformer cet air respirable lorsqu’il évoluera sous l’eau. On appelle cela les étages du détendeur : un premier étage va diminuer la pression de 200 bars à environ 8 à 10 bars au dessus de la pression ambiante, et un deuxième étage situé devant la bouche du plongeur, va diminuer la pression restante à la pression ambiante, c’est à dire à celle du milieu dans lequel le plongeur évolue.
En effet, dés lors que vous vous immergez à une profondeur supérieure à 50 cm, la pression de l’eau sur votre corps est telle que les muscles de votre cage thoracique ne sont plus suffisamment puissants pour la contrer. Il faut donc une « assistance » qui est délivrée par la surpression de l’air en sortie du détendeur, qui va l’adapter au moyen d’une membrane flexible. Quand le plongeur inspire, la dépression générée tire sur la membrane qui actionne un levier qui laisse passer l’air sous pression et alimente ainsi les poumons sans avoir à forcer. Pour se rendre compte de cette force invisible, essayez de respirer à un mètre sous la surface d’une piscine au moyen d’un tuyau d’arrosage : vous verrez que cela est impossible !
Utiliser de l’air comprimé est donc nécessaire mais n’est pas sans risque. Les travaux du Commandant Cousteau, inventeur de ce système dans les années 60, l’ont largement montré conjointement aux recherches fondamentales pratiquées par la Marine Nationale. Il est vrai que transporter une bouteille de 20 litres et de 200 bars de pression dans son dos nécessite quelques précautions d’usage et n’est pas anodin : cela implique des révisions régulières du matériel et notamment des surfaces des bouteilles, appelées « bloc ». Mais les contraintes ne se limitent pas au niveau technique : en effet, Cousteau s’est vite rendu compte, lors de ses plongées, que l’air comprimé qu’il respirait en profondeur, avait un impact sur sa physiologie et sur son corps. L’air est composé de 78% d’azote, 21% de dioxygène et 1% de gaz rares, comprimé ou non.
L’azote que nous respirons à la surface n’est qu’une sorte de « diluant » qui n’est pas consommé et intégré par notre organisme. En revanche, dès lors que la pression augmente au fur et à mesure que le plongeur descend, cet azote va quand même entrer dans son corps. Mais comme il n’est pas utilisé, il va simplement se diluer dans le sang, aller se stocker et attendre. Lors de la remontée, il va donc être intact et demander à sortir, l’idéal étant par la ventilation et les voies naturelles à l’inverse du stockage. Sauf qu’une remontée rapide, donc une décompression rapide, peut provoquer l’effet « bouteille de champagne » et voir apparaitre des petites bulles d’azote dans le sang : il faut donc impérativement gérer sa vitesse de remontée, au besoin effectuer un ou plusieurs paliers (arrêts à un certaine profondeur) qui permettront à l’azote de s’évacuer tout seul et sortir en toute sécurité par les voies aériennes. Et c’est là où les ordinateurs de plongée rentrent en action …
Principe de fonctionnement d’un ordinateur de plongée
L’ordinateur de plongée va permettre d’optimiser son temps de plongée en sécurité, en calculant en temps réel la décompression que va devoir effectuer le plongeur. Auparavant, on calculait ces temps à l’aide de tables de décompression (MN90 en France) à partir de la durée totale de la plongée et de sa profondeur maximale atteinte : un tableau nous donne alors la profondeur et la durée des paliers de décompression à effectuer. Ce calcul est volontairement le plus pénalisant (plongée dite « carrée » en raison de la forme de sa courbe en rouge sur le schéma ci-dessous) afin d’assurer la sécurité de la décompression. Un ordinateur va, lui, découper toute la plongée en tranches d’une durée inférieure à 30 secondes (courbe jaune ci-dessous) et va donc être beaucoup plus précis dans le calcul des paramètres. On va donc se pouvoir se permettre d’anticiper la plongée et de raisonner non plus sur le temps écoulé, mais sur le temps restant, ce qui permettra de mieux appréhender les paliers et la réserve d’air restant à disposition dans la bouteille.
Un ordinateur est composé d’un boitier étanche et résistant à une pression importante afin d’éviter les entrées d’eau en grande profondeur. Il contient une source d’énergie (pile ou batterie rechargeable) et embarque un microprocesseur qui va procéder à des calculs mathématiques statistiques selon un programme qui est installé. Le tout est traité et affiché sur un écran, à LED ou à cristaux liquides, en noir et blanc ou en couleur selon les modèles. Il peut aussi être équipé d’un rétroéclairage, d’une mise en route automatique par capteur sensitif, et d’une mise en veille automatique. Il va aussi consigner toutes les plongées et les archiver dans un journal, qui pourra être accessible soit en lecture directe, mais aussi de plus en plus via un ordinateur de bureau et un logiciel, ou sur des applications mobiles spécifiques.
Les ordinateurs de plongée actuels embarquent donc pour fonctionner toute une série de capteurs qui mesurent en temps réel, entre autres, l’heure d’immersion, l’heure de sortie, la durée entre deux plongées, la pression ambiante et la température de l’eau, la pression restante et la consommation du plongeur si il est équipé un capteur de pression, les efforts du plongeur et la prévention de l’essoufflement si il est équipé d’une ceinture cardiographique, un magnétomètre pour mesurer l’orientation par rapport au nord magnétique, ils peuvent aussi gérer plusieurs mélanges gazeux de nature différente, gérer le passage d’une bouteille à une autre en cours de plongée, etc. Chaque ordinateur de plongée est donc personnel et indique à son propriétaire des paramètres précis qui lui sont indispensables pour assurer sa sécurité.
Les ordinateurs de plongée sont donc plus ou moins complexes, et une gamme large permet au débutant comme au plongeur TECH de trouver son bonheur. Voici ci-dessous un tableau des principaux ordinateurs disponibles sur le marché en 2014, classés par ordre de complexité et fonctionnalité (entry: débutant, Technical : expert)
Mais sur quoi reposent les calculs et quels sont les modèles arithmétiques originaux ?
L’ordinateur de plongée se base sur des protocoles standards de décompression et des études statistiques. Des modèles mathématiques ont été établis selon des profils spécifiques de plongée et des facteurs extérieurs comme la pression, la température, les plongées précédentes, etc… Selon le profil physique des plongeurs et les caractéristiques de la plongée, il peut être parfois important de sélectionner manuellement un profil de dureté (augmentation des paliers et diminution du temps de plongée avant palier) pour éviter tout accident en fonction de ses propres critères. De plus, comme le calcul de la décompression s’effectue au plus juste, deux plongeurs avec les mêmes ordinateurs et les mêmes réglages peuvent avoir des obligations de décompression différentes s’ils n’ont pas été systématiquement à la même profondeur. Les algorithmes de calcul sont principalement issus des calculs de Albert Bühlmann, eux même basés sur les travaux de Haldane et de Workman, les pionniers en la matière. Citons par exemple le modèle ZHL-8 modifié, ZHL-16 B ou encore C avec GF, VPM ou RGBM. Un des pionniers du calcul numérique de la décompression fut Hannes Keller dont les travaux contribuèrent grandement à l’évolution rapide des ordinateurs de plongée modernes.
Principalement, le plongeur va donc pouvoir accéder en temps réel sur son ordinateur à :
- sa profondeur instantanée
- sa durée d’immersion (date, heure, etc)
- le temps restant avant le début de palier
- de sa vitesse de remontée avec une alarme visuelle et sonore
- de la profondeur des paliers et de leur durée si il y en a
- la température de l’eau (si équipé)
- d’une boussole numérique (si équipé)
- de la pression restant dans sa bouteille (si équipé)
- de la pression dans les bouteilles de ses équipiers (si équipé)
- de l’affichage de sa courbe de plongée sous forme graphique
- de sa fréquence cardiaque (si équipé)
- de sa saturation par compartiment (selon les modèles)
- à l’intervalle durant lequel il est déconseillé de prendre l’avion…
L’avancée du numérique et l’inter connectabilité des dispositifs
La principale avancée des ordinateurs de plongée réside dans la miniaturisation des dispositifs. En effet, l’augmentation de la puissance des microprocesseurs et des calculateurs, couplée à l’explosion des capacités de stockage mémoire et des fréquences des bus numériques, permettent aujourd’hui des opérations plus poussées en étant encore plus rapide. Les capacités d’analyse via l’intégration des variables et des mesures effectuées par les capteurs sont donc plus rapidement traitées et « statistiquées » selon l’algorithme installé dans l’appareil. Les matériaux sont aussi plus résistants, aux chocs mais aussi à la pression que l’eau peut appliquer à grande profondeur. Parlons aussi de la connectique. Les premiers modèles connectables ont utilisé avec succès l’IrdA (liaison de données par LED infrarouge). L’avantage était de tout intégrer dans les boitiers en les maintenant parfaitement étanches puisque sans ouverture. On constate désormais la possibilité de connecter nos appareils avec les dernières technologies sans fil, comme le WiFi ou le Blutooth. L’IrDA est petit à petit délaissé par les constructeurs principalement en raison du faible débit des données en transmission. L’apparition des nouvelles prises USB3 en format micro, permet aussi de proposer une petite prise filaire qu’il sera facile de protéger : en effet, la force d’une pression est proportionnelle à la surface sur laquelle elle est appliquée. Un petit capuchon étanche résistera beaucoup plus qu’un plus large, avec des risques d’inondation pour autant réduits.
Ceci permet aussi d’utiliser des batteries rechargeables et d’offrir une autonomie accrue (les ordinateurs sont souvent gourmands en énergie), de transférer à vocation pédagogique ses profils de plongée sur les applications dédiées, et même d’appliquer des mises à jour du firmware des appareils, souvent téléchargeables en ligne sur les sites internet des constructeurs. On voit aussi ces dernières années une déclinaison des interfaces homme/machine et une prise en compte bien supérieure de l’aspect Ergonomie des ordinateurs : on retrouve des ordinateurs complets embarqués sous forme de console directement en bout du flexible du manomètre de pression, voire même la technologie VTH (Vision tête haute) comme dans l’aviation ou les automobiles. Nous en sommes encore à l’heure actuelle à un écran incorporé dans certains masques de plongée (photo ci-dessous), mais il est moins confortable car plus lourd qu’un masque classique.
On peut s’autoriser à penser que d’ici quelques années, nous verrons l’apparition sur le marché d’écrans translucides flexibles qui permettront de projeter les données principales sur les verres du masque. On peut aussi penser à des systèmes interconnectés et en surveillance automatisée, comme les ARVO en montagne : un appareil détectant une probabilité montante d’une situation d’urgence déclenchera une alarme directement sur les appareils des plongeurs accompagnants. On gagnera donc de précieuses secondes sur l’intervention et l’assistance de la personne en difficulté. Il en est de même pour la transmission des données en temps réel, en direction du bateau ou du directeur de plongée, des constantes vitales du plongeur, des données de décompression, etc. Ceci existe déjà au niveau militaire mais reste très onéreux.
Bref, tout reste encore à faire et cette technologie au service de la sécurité des plongeurs n’en est encore qu’à ses balbutiements.